En Mésoamérique, certaines civilisations préhispaniques ont développé des systèmes d’écriture, d’autres non, sans que ceux-ci aient un rôle hiérarchique ou dominateur. On connait à ce jour trois civilisations dont on a conservé des manuscrits : Aztèque, Maya et Mixtèque. C’est au sein de cette dernière que la plus grande documentation est conservée. Étudions donc cette écriture et ses réalisations.
Pour plus d’informations générales sur la civilisation mixtèque, se référer à l’article concerné : https://cultinera.wordpress.com/2015/08/31/la-civilisation-mixteque/
À l’origine :
Selon les historiens mixtèques, l’art d’écrire et de conter les histoires est d’origine divine. C’est le héros culturel primordial Seigneur 9 Vent « serpent à plumes » qui a inventé l’écriture et les chansons. Il a étendu sa connaissance en voyageant, fondant les sanctuaires et les institutions culturelles mixtèques, contribuant ainsi à l’histoire de son peuple. Trouver les bons mots pour exprimer la beauté, le suspens, la gloire ou le désespoir était par conséquent une question d’inspiration divine, et noter le passé avait pour but premier de transmettre des valeurs anciennes aux générations futures. Les récits portent sur l’histoire du peuple mixtèque, la généalogie des dynasties royales issues de couples originels mythiques, les alliances guerrières ou matrimoniales, mais aussi les croyances religieuses, les rites et cérémonies.
L’écriture était réservée à des experts choisis avant tout pour leurs talents artistiques. Ils restaient anonymes, ne signant jamais leurs œuvres puisque celles-ci étaient commanditées par la classe dirigeante, et étaient destinés à la collectivité ou aux nobles (cadeaux lors d’alliances). L’écriture était employée essentiellement sur des supports papier. On les appelle communément « codex », mot latin qui signifie « livre manuscrit », employé par les colons à leur arrivée au Nouveau Monde et leur découverte de ces manuscrits. Les codex mixtèques sont faits en peau de cerf, considérée comme sacrée, et sont de format horizontal. Ils étaient conservés pliés en accordéon dans des lieux semblables à des bibliothèques.
Codex Nuttall, British Museum, Londres.
Le système d’écriture :
On parle de manuscrits pictographiques parce qu’ils sont écrits par le biais de dessins soumis à une codification complexe faite de conventions stylistiques bien définies et élaborées. Le système se base sur trois éléments combinés :
- Iconographique : on représente les faits au moyen d’images descriptives.
Exemple : une femme filant, codex Vindobonensis, p. 9.
- Idéographique : on représente une idée ou un concept par un symbole.
- Syllabique : on représente les sons par syllabes ; sur le système des rébus. Surtout utilisé pour les noms de personnes et de lieux.
- Exemple : Coixtlahuaca = nom de ville signifiant « vallée des serpents », qui s’écrit donc par la représentation d’une vallée (un rectangle allongé) et des serpents dans ce rectangle.
La lecture se fait en zigzag (boustrophédon) à partir d’un point de départ, de gauche à droite ou de droite à gauche, selon des lignes verticales ou horizontales rouges.
Son rôle :
L’écriture était considérée très différemment à l’époque préhispanique par rapport à notre époque. Les manuscrits n’étaient pas réalisés dans le but d’une lecture individuelle mais comme une tradition de communication, qui s’exprimait à la fois dans une littérature orale et dans les arts plastiques. Les manuscrits étaient souvent exposés et lus lors des grandes occasions ; donc le peuple, par coutume, savait souvent reconnaître les éléments de base, tels que les noms des dieux ou des souverains.
Les codex, par leur contenu, nous informent sur les personnages historiques ; leur mode de vie, leurs actes, leur façon de diriger leur peuple. Ce ne sont pas des livres de littérature mais des instruments de pouvoir ; ils ont pour but d’être lus au peuple lors des grandes occasions qui réunissent la communauté ; il va donc de soi que leur contenu ne peut être laissé au hasard sous aucun détail. On voit ainsi se dessiner une forme de propagande dans ces codex.
Aujourd’hui :
Une partie des codex fut écrite avant la conquête, une autre après, enregistrant ainsi les changements conséquents à l’arrivée des Espagnols dans leurs vies. La majeure partie des codex préhispaniques a été détruite par des missionnaires qui y voyaient des œuvres du diable ou détériorée par les effets du temps. Parmi les œuvres coloniales, on trouve encore l’écriture mixtèque mais associée à sa traduction en alphabet latin, voire à une traduction en espagnol. Par ailleurs, les dessins coloniaux manifestent l’influence du style européen, lequel se mélange au style traditionnel mixtèque.
Aujourd’hui, il reste onze codex mixtèques préhispaniques. Ce qui, somme toute, représente une source d’information essentielle pour une meilleure compréhension du sens de cette écriture. En effet, cette dernière nous en dit beaucoup sur la conception à la fois politique, sociale, économique et culturelle du monde mésoaméricain à la veille de la conquête. Mais si, de nos jours, c’est en Europe que presque tous ces codex sont conservés, il ne faut pas y voir un hasard mais la preuve d’un intérêt européen, lequel a aussi beaucoup à dire sur notre propre culture.
Auteur : Estelle Pautret
Pour aller plus loin :
- BOONE, Elizabeth Hill and Walter MIGNOLO, Writing without Words: Alternative Literacies in Mesoamerica and the Andes. Duke University Press, Durham, 1994.
- JANSEN, Maarten and Laura van BROEKHOVEN, Mixtec Writing and Society, Escritura de Ñuu Dzaui. KNAW Press, Amsterdam, 2008.
- PAUTRET, Estelle, La perception des codex mésoaméricains en Europe au XVIe siècle. Mémoire de Master 2 en Histoire de l’art, sous la direction de Brigitte Faugère. Paris, Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, 2015.
- SMITH, Mary Elizabeth, Picture Writing from Ancient Southern Mexico. Mixtec Place Signs and Maps.University of Oklahoma Press, Norman, 1973.
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