Le nord-est de la Turquie, la région dite de la mer Noire, nous a valu pas mal de contretemps et de mésaventures, mais laissez-nous vous faire part de nos découvertes et rencontres.
Trabzon
Après avoir quitté Batoumi, port principal de Géorgie sur la mer Noire, Estelle et moi, nous traversons la frontière turco-géorgienne pour nous rendre directement à l’une des villes principales de cette région, la dénommée Trabzon, ou encore Trébizonde.
Trébizonde fut fondée au Ve siècle avant J.-C. par des colons grecs pour l’intérêt qu’elle représentait en tant que point stratégique sur la route commerciale entre la mer Noire et la Méditerranée et plus encore sur la route de la soie. Lorsqu’elle passa sous domination byzantine, ce fut pour en devenir sa capitale grâce à l’influence de la riche famille byzantine des Comnènes qui en firent un foyer de culture. Elle fut aussi la ville de naissance du célèbre souverain ottoman, Soliman le magnifique.

Pour nous y rendre, nous longeons le littoral où se trouvent bon nombre de plantations de théiers où les gens, en cette période, sont en pleine récolte. Tout le long de la côte, les villes s’enchaînent, mais ne nous semblent pas plus attrayantes que cela.
Nous voici à Trabzon, une ville de désordre assez bruyante, au centre-ville concentré, mais où l’on trouve des personnes sympathiques qui se proposent de nous aider à nous repérer.
Nous prenons le temps d’observer les quartiers où nous nous rendons et de remarquer que le rythme citadin est plutôt détendu, si l’on fait abstraction du brouhaha des voitures.
Nous visitons Aya Sophia, cette église byzantine du XIIIe siècle, convertie tantôt en mosquée, tantôt en hôpital, ou encore en réserve de munitions durant les guerres mondiales avant de devenir un musée en 1957.
Entourées d’un petit jardin agréable, de très belles fresques murales – considérées parmi les plus belles du pays – se découvrent à nous sous le porche. À l’intérieur, les mosaïques et le pavement de marbre sont d’origine.
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Dans la vallée de Maçka
Nous poursuivons vers une vallée où la ville principale, Maçka, est notre point de chute. Notre hébergement est difficile à trouver, mais une fois arrivés, nous développons un très bon contact avec la famille qui nous offre une hospitalité exemplaire et chaleureuse, en dépit du manque de capacité à communiquer.
En guise de petit déjeuner, ils nous servent le menemen, une omelette aux petits légumes (poivrons, tomates et oignons) absolument savoureuse.

Puis nous partons à la recherche d’un festival en altitude. Après de multiples vas et viens entre vallées, nous arrivons enfin à la fameuse fête sur le plateau de Sevinç, au milieu du brouillard. Nous pouvons nous essayer à la danse locale, le Horon, une danse en cercle traditionnelle.
L’ambiance est particulière : imaginez un plateau d’altitude, entouré de montagnes, un soleil qui joue à cache-cache avec une épaisse brume mouvante, un petit orchestre de musique, des hommes qui se tiennent et se rattachent aux femmes, des jeunes et des moins jeunes, qui s’unissent sur le gazon, sans question de classe ou de religion, pour partager ce moment de joie simple en dehors du temps. Toute une vie se développe autour des danseurs, de nombreux petits stands de nourriture et de babioles permettent d’occuper les non-danseurs.
La journée se poursuit alors que le soleil se couche, nous nous rendons au monastère de Sumela dont les bâtiments actuels datent du XIIIe siècle, de l’époque des Comnènes, mais dont la fondation remonte au IVe siècle par des moines grecs. En raison d’une icône de la Vierge noire qui aurait été découverte sur le site et entraîné la fondation du monastère, ce dernier devient rapidement un lieu de pèlerinage et un foyer culturel important. Néanmoins, malgré la protection des sultans ottomans, le monastère a dû subir de nombreuses reconstructions et, notamment au XIXe siècle avant d’être largement abandonné durant la guerre d’indépendance de la Turquie.
À défaut de pouvoir accéder au monastère, fermé pour restauration et en raison de la fragilité de sa structure globale depuis plusieurs années, nous montons l’admirer à distance, depuis la pente de la montagne d’en face où le mini van de notre hôte lutte sur l’unique chemin rocailleux traversant une forêt verdoyante et luxuriante aux mille odeurs, pour nous donner une vue en contre-plongée de cet ensemble médiéval pittoresque qui fusionne avec la roche rugueuse de ce flanc de falaise.
Nous finissons la journée en beauté en dégustant une spécialité originaire de la localité d’Hamsiköy, le sultaç, un riz au lait saupoudré de poudre de noisette dont la production est une des fiertés de la région de la mer Noire.
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Dans la vallée de Çaykara
Nous poursuivons notre périple pour rejoindre une autre vallée dont la ville principale est Çaykara où nous logeons. Si une journée de voyage itinérant n’est jamais de tout repos, cette journée met nos nerfs à rude épreuve. Pour des raisons que nous ne tenterons même pas de vous expliquer, notre hôte n’est pas en mesure de nous héberger, ce qui entraîne plusieurs tracas d’ordres financier et logistique…
Dès que cela devient possible, nous filons, en quête d’un second festival dans les hauteurs. Mais le temps ne nous attend pas et le dernier bus pour le festival est déjà parti. La chance est heureusement de la partie au milieu de nos aléas, nous rencontrons une personne qui s’y rend et nous y emmène. De nouveau à travers les nuages et la fraîcheur des montagnes, nous traversons un paysage assez différent de la veille, la végétation s’y fait plus rare. Le plateau où les arbres se font rares est très étendu et propice à la danse en plein air. Pour autant, nous n’y retrouvons pas la même atmosphère que la veille, les stands forment un vrai marché, presque une foire.
Nous constatons que nous réussissons à faire face aux différents aléas que nous rencontrons sur notre chemin et à trouver des alternatives, ce qui nous réconforte. Jusque dans ces hauteurs, nous trouvons des parcs à moutons ou à vaches, attendant leur triste sort du lendemain. De fait, nous apprenons, à nos dépends à nouveau, que cette semaine, est celle de la célébration de l’Aïd, Bayram en turc – la fête du sacrifice (en mémoire du sacrifice d’Abraham), qui occasionne des festivités qui, bien qu’elles restent de la sphère privée, ont pour conséquence la fermeture de nombreux sites touristiques parmi lesquels plusieurs musées qui nous intéressaient…
La vallée de Çaykara nous semble plus touristique et moins sauvage que celle de Maçka que nous avons quittée. Pour preuve, le lac d’Uzungöl où nous nous rendons, pensant profiter de la nature : l’ambiance y est plus proche de celle d’un parc d’attractions… Baraquements clinquants, hôtels très nombreux, stands de confiseries et de diverses fritures tous les deux mètres, manèges pour enfants… Les touristes, très nombreux, sont majoritairement des pays de la péninsule arabique. Il est étonnant de voir leur intérêt pour la pluie qui commence à tomber au milieu de cette journée fraîche et brumeuse. Vidéos et selfies n’ont de mains tendues que pour la pluie. Les choses les plus communes pour les uns ne le sont pas forcément pour les autres. On devine aisément la rareté que l’eau représente dans les pays arabes.

Nous goûtons à Uzungöl une autre spécialité turque, le kuymak, une sorte de fondue de fromages beurrée qui se mange avec du pain, un peu comme notre fondue savoyarde.
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Rize
Le lendemain, nous partons pour Rize, capitale du thé turc. Le long de la route qui longe la côte, on peut en effet profiter du paysage original que forment les théiers, ces champs verdoyants en terrasses taillées dans les falaises. Le climat humide de la mer Noire est resté particulièrement propice au développement de cette industrie dans le pays depuis les années 1930, après son importation du Japon à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, à la terrasse de n’importe quel café, dans les boutiques ou chez eux, les Turcs ont à la main un de ces petits verres typiques remplis du thé noir qui a leur faveur. Le thé vert est en effet réservé à l’exportation. La préparation du thé se fait dans deux théières superposées dont le mécanisme nous reste mystérieux, mais qui est censé permettre d’ébouillanter les feuilles avant de les laisser infuser.
Le seul musée ouvert en cette période de festivités est un musée local abordant l’histoire et les coutumes de la région.
Rize nous semble plus attractive, l’organisation des bâtiments est moins brouillon et plus aérée qu’à Trabzon. Mais la même ambiance de détente baigne les rues d’où l’on entend souvent le bruit des dominos des hommes assis à jouer à l’entrée des cafés.
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