La forêt de Bialowieza, aussi appelée forêt de Belovej, avec plus de 140 000 hectares partagés entre la Pologne et la Biélorussie, représente la dernière forêt « primaire » d’Europe. Connue pour accueillir les derniers bisons d’Europe vivant à l’état sauvage, elle recèle des trésors de biodiversité tant pour sa faune que pour sa flore. Cette zone transfrontalière est classée à l’UNESCO en tant que patrimoine naturel mondial protégé.
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Une forêt primaire au XXIe siècle :
Une forêt primaire se définit comme une zone recouverte par des arbres en continu pendant plusieurs siècles. Ce type d’espace représente une importance écologique capitale au sens où il s’agit d’une zone qui ne connaît pas d’intervention humaine directe et où la nature suit son propre cours. Ce qui en fait un site de référence pour comprendre les effets des changements climatiques sur la nature au long terme.
D’autre part, une forêt primaire ne se définit pas uniquement par sa quantité d’arbres anciens puisqu’une forêt reste un espace vivant dans lequel chaque individu qui périt laisse un espace naturel pour un plus jeune. Par ailleurs, les arbres morts ont aussi leur importance puisqu’ils accueillent bon nombre de champignons et de petits insectes qui participent à leur décomposition, laquelle va, à son tour, enrichir le sol. On comprend ainsi qu’une forêt primaire est capitale pour la biodiversité, tant la faune que la flore ; on y retrouve en effet 25 % d’espèces de plus que dans des forêts exploitées.
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Aux origines de Bialowieza :
Formée il y a environ 10 000 ans, lors de la dernière période glaciaire, Bialowieza est le dernier ensemble d’arbres à lever encore ses feuilles vers le ciel de cette immense forêt qui recouvrait presque toute l’Europe à cette époque reculée.
Dès le XIVe siècle, la quantité de bisons vivant en liberté au sein de la forêt avait drastiquement réduit en raison de la chasse intensive pratiquée par les nobles de la région. Les souverains russes aimant particulièrement venir y chasser, la forêt fut déclarée forêt royale, régulant ainsi la chasse. Ce statut s’est maintenu pendant une longue période durant l’époque tsariste, ce qui lui a permis d’échapper aux défrichements massifs qu’ont connus d’autres forêts durant des siècles. Les tsars russes sont restés propriétaires de la forêt jusqu’à la fin de l’empire tsariste, en 1917.
Au début du XXe siècle, les bisons, espèce alors en voie d’extinction en Europe, ont été déclarés animaux protégés afin de sauvegarder l’espèce ; conférant, par la même occasion, le statut de réserve naturelle à une grande partie de la forêt. Néanmoins, durant la Première Guerre mondiale, la forêt de Bialowieza a représenté une importante ressource de matières premières pour les Allemands. Au contraire, au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle resta inexploitée et se transforma en lieu de refuge pour des centaines de juifs d’Europe centrale et de l’Est.
Durant la Guerre froide, du côté de la Biélorussie actuelle, s’y est déroulé un événement majeur : c’est dans la datcha (résidence secondaire à la campagne) d’un dirigeant russe que le 8 décembre 1991 les présidents russe, biélorusse et ukrainien ont signé les accords de Belavezha qui mettaient fin à l’URSS. Cette datcha appartient aujourd’hui au président biélorusse actuel, Alexandre Lukashenko.
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Une forêt digne d’un conte des frères Grimm :
Au premier abord, Bialowieza ressemble à une forêt commune. C’est surtout dans son incroyable diversité que cette forêt se démarque : bouleaux, charmes, épicéas, peupliers, pins, chênes parmi lesquels certains ont plus de quatre siècles. Le célèbre « Empereur du Sud », chêne d’un diamètre de plus de deux mètres, aurait environ 550 ans.
À certains endroits, les arbres ont les racines qui trempent dans des marais présents depuis des siècles. La région est en effet marécageuse, faite de rivières, de tourbières et de lacs ; ce qui a contribué à préserver la forêt, la rendant peu accessible.
Les visiteurs revenant d’une visite de la forêt retiennent tous l’émerveillement des sens à l’approche de la forêt, les odeurs, les couleurs, les bruits variés d’une faune que l’on soupçonne riche.
Des légendes content le récit de groupes d’initiés qui se rassemblaient au cœur de la forêt pour pratiquer des rituels liés à la nature, faire appel aux forces de la terre. D’ailleurs, aujourd’hui encore, il paraît que les baguettes des sourciers se brisent dans certaines zones…
La frontière entre les deux pays étant fermée, un poste de frontière existe en plein milieu de la forêt, que l’on peut donc traverser à pied ; les véhicules à moteur étant interdits au sein du parc national biélorusse. Les quelque 100 000 touristes qui viennent à Bialowieza chaque année sont encadrés par des guides et doivent suivre des sentiers balisés.
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Une faune extraordinaire :
C’est grâce à la variété d’écosystèmes composant cette forêt, allant de la zone d’arbres à la prairie en passant par des vallées fluviales, dispersés sur une vaste étendue non perturbée qui a permis à une immense diversité d’animaux de se développer au fil des siècles.
La forêt héberge en effet une faune d’une diversité telle qu’elle entretient des chaînes alimentaires complètes. On retrouve notamment plusieurs espèces animales rares – et encore plus à l’état sauvage – telles que les koniks, des chevaux sauvages de Pologne, l’espèce la plus proche des chevaux préhistoriques ; ou encore des loups, des lynx et des ours. On y dénombre aussi plus de 250 espèces d’oiseaux, plus de 3 500 espèces de champignons.
Les quelques 600 bisons vivant aujourd’hui en liberté au sein de la forêt sont issus d’un programme de réintroduction polonais de 1952, de bisons envoyés par des zoos autrichiens et suédois. Actuellement, les bisons de Bialowieza représentent la plus grande population de l’espèce vivant en liberté.
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Menaces actuelles :
Il s’agit d’un patrimoine naturel irremplaçable qui nécessite une gestion commune des pays frontaliers concernés et un suivi permanent pour assurer la protection et la conservation de ce patrimoine vivant. Si la quasi-totalité de la forêt côté biélorusse est aujourd’hui protégée par le statut de parc national, ce ne sont que 17 % qui en bénéficient du côté polonais. Le reste est plus ou moins ouvert à l’exploitation… Une exploitation pour son bois essentiellement qui représente une menace majeure pour la dernière forêt primaire d’Europe. Si ce ne sont que quelques villages enclavés aux maisons traditionnelles en bois, tel que celui de Bialowieza, ainsi que quelques hameaux seulement qui jouxtent la forêt, ceux-ci entretiennent les uniques zones d’activités humaines de la forêt, pour la plupart des scieries. Si l’exploitation forestière de la forêt est limitée, elle n’en reste pas moins présente dans des zones autorisées.
La forêt de Bialowieza est aussi menacée par des larves rongeuses qui pondent leurs œufs sous l’écorce des arbres, entraînant la mort de leurs hôtes. Si ces arbres doivent être coupés pour éviter l’éclosion et donc la multiplication de ces animaux, les coupes massives que connaît la forêt semblent démesurées au regard de cette unique épidémie. De nombreuses ONG et scientifiques se battent aujourd’hui pour la défense de ce bien universel en voie de disparition dans le monde.
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Auteur : Estelle Pautret
Pour aller plus loin :
- Chauveau Loïc, « L’Europe dénombre ses dernières forêts primaires », Sciences et Avenir, 6 juin 2018. Disponible sur : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/plantes-et-vegetaux/la-premiere-cartographie-des-forets-primaires-europeennes-vient-d-etre-publiee_124674
- Forêt Bialowieza. Unesco.org. Disponible sur : https://whc.unesco.org/fr/list/33
- François Jean-Baptiste, « A Bialowieza, la forêt primaire de la discorde ». La Croix, 21 février 2018. Disponible sur : https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Environnement/DIAPORAMA-A-Bialowieza-foret-primaire-discorde-2018-02-21-1200915443
- Guilbert Christelle, « Le destin de la dernière forêt primaire d’Europe dans les mains de la CJUE », Ouest-France, 20 février 2018. Disponible sur : https://www.ouest-france.fr/europe/pologne/le-destin-de-la-derniere-foret-primaire-d-europe-dans-les-mains-de-la-cjue-5576451
- « Où sont les dernières forêts primaires d’Europe », réserves-naturelles.org. Disponible sur : http://www.reserves-naturelles.org/sites/default/files/news/180531_cp_rnf_sabatini_forets_primaires_deurope.pdf
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