Le yodel est une technique vocale ancestrale, aujourd’hui au cœur de la musique folklorique et populaire des Alpes, surtout suisses et autrichiennes. Mais ce chant tout en vocalise se retrouve dans diverses régions du monde avec autant de variantes et de tonalités. Cela étant, on y retrouve un lien similaire : celui de l’homme à la nature, à la montagne plus spécifiquement, car c’est dans le plaisir de faire résonner sa voix dans l’écho des vallées que cette pratique vocale à mi-chemin entre le cri et la mélodie trouve ses racines et sa puissance.
Un peu d’histoire et de géographie
Le yodel était autrefois utilisé par les bergers pour communiquer d’une vallée à une autre et appeler leurs troupeaux. On le retrouve ainsi dans de nombreuses régions montagneuses du monde où il existe probablement depuis l’époque préhistorique.
Il s’agit d’un chant à multiples facettes comme on peut s’en rendre compte dans cet extrait. D’abord de par son nom, écrit yodel généralement en français, mais que l’on peut voir écrit jodel, jodle, jodle, jodl, yodle selon que la source est allemande, suisse, romande, française…
À multiples facettes aussi par ses tonalités : c’est sa version autrichienne qui l’a popularisé aux oreilles du grand public. Dans le Tyrol, ainsi qu’en Allemagne dans la région de la Bavière, il prend souvent le nom de tyrolienne ; on le connait pour son rythme rapide, joyeux, un son puissant, fort et court.
Déployé dans l’ensemble des Alpes, il est aussi largement populaire en Suisse où il déploie des tonalités plus lentes et mélancoliques, sous le petit nom de youtse. De la Suisse alémanique à la Suisse romande, le youtse a traversé la frontière française jusqu’en Savoie.
Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’il est entré dans le folklore en Europe, dès lors chanté en chorale ou en chœur. En France, à la fin du XIXe siècle, le yodel se retrouve sur le devant de la scène dans les cabarets cafés-concerts où il devient un genre comique très en vogue qui perdure jusque dans les années 1930.
Outre-Atlantique, on retrouve le yodel tyrolien que des émigrés ont emporté dans leurs valises aux États-Unis où il s’est vite adapté à la musique country des états du sud ; on parle de country yodel.

Sans liens directs, le yodel rencontre un écho en Géorgie, en Mongolie et dans certains pays d’Afrique où l’on parle du yodel pygmée.
Types de yodle
On distingue deux types de yodle :
- Le yodel naturel
C’est le yodel spontané, sans paroles, plus typique de la Tyrolienne, qui peut s’entendre lors d’une fête familiale (souvent dans les mariages à la campagne) ou amicale : un chanteur va entonner un premier son qui va être repris par d’autres pour l’accompagner. On parle de chanteurs polyphoniques. Mais, plus souvent, ces yodleurs spontanés ou naturels font entendre leurs voix dans les montagnes où l’écho magnifie le chant, mais aussi simplement pour signaler sa présence ou manifester sa fierté d’avoir gravi un sommet.
D’ailleurs, pour l’anecdote populaire, nous avons tous déjà entendu un yodel spontané, le fameux cri de Tarzan… Comme ici, interprété par l’acteur Johnny Weismuller.
Dans la culture populaire, nous ne pouvons manquer de citer la série télévisée d’origine suisse Heidi (retrouvez ici le générique) qui a marqué l’enfance de nombreux enfants en France comme à l’international depuis sa création en 1974 et dont le refrain est bien du yodel.
- Le chœur de yodel
On distingue les chanteurs professionnels de yodle qui pratiquent en chœur, de 2 à 4 voix yodleuses, accompagnées de plus nombreuses voix qui ne yodlent pas. Il s’agit ici de chants à paroles qui abordent généralement les thèmes de la nature ou de l’amour pour son pays. En Suisse, on dénombre environ 200 compositions chantées, essentiellement en Allemand, mais aussi en Français.
Ce sont traditionnellement des chœurs d’hommes, mais de plus en plus de femmes sont acceptées, voire créent leurs propres chœurs. Toujours en costumes traditionnels, les chanteurs se disposent en arc de cercle afin de bien s’entendre, le plus souvent accompagnés d’un accordéon.

Un peu de technique
Le yodel n’étant pas simplement un type de chant, mais une technique vocale puissante, il exige une agilité vocale certaine et une excellente maîtrise de sa voix et de son souffle pour le yodleur.
Il s’agit de savoir passer de voix de poitrine (avec des notes en « O ») en voix de tête (notes en « U, OU »), ce qui revient à « craquer » sa voix disent les chanteurs, autrement dit à moduler une mélodie en faisant varier la hauteur de voix. Il est question de faire bouger sa langue en fonction du rythme avec rigueur et précision. Le résultat est tout en vocalise, utilisant des onomatopées ou des suites de syllabes pendant les refrains qui peuvent prendre un rythme très rapide, alternant avec les couplets plus souvent chantés.
Les yodleurs de type tyrolien (Autriche et Allemagne) se produisent le plus souvent en duos ou en trios, et de plus en plus accompagnés d’instruments et d’orchestres traditionnels.
Parmi les instruments de musique typiques qui accompagnent les yodleurs, on retrouve souvent l’accordéon et la cithare au Tyrol, un ensemble de cuivres en Bavière et un mélange des deux en Suisse. Cela étant, les yodleurs suisses sont plus souvent des chœurs sans accompagnement instrumental.
Des chanteurs professionnels à la culture populaire contemporaine
Dans les années 1950 à 1970, le célèbre chanteur traditionnel bavarois Franzl Lang a fait connaître le yodle tyrolien à l’international en exportant ses nombreux albums et écrits sur le yodle. Retrouvez-en un exemple ici. Actuellement en Allemagne, on retrouve souvent les tyroliennes dans les fêtes folkloriques populaires, telles qu’à l’Oktoberfest de Munich ou pour accompagner les Schuhplattlers, danse folklorique bavaroise typique reconnaissable par le costume traditionnel de la région, de feutre vert et chapeau à plumes.
Le yodel connait un renouveau en Autriche par souci de préserver la culture autrichienne et faire vivre l’écho de cette lointaine tradition.
Des divers côtés des Alpes, les jeunes artistes sont nombreux à s’y intéresser et à s’approprier le yodel pour en faire des compositions à mi-chemin entre le folklore et la variété. C’est le cas de la jeune et aujourd’hui célèbre chanteuse suisse Mélanie du groupe familial Oesch’s die Dritten qui associe musique pop et folklorique suisse. Elle utilise ses chansons pour valoriser le yodel et la culture suisse comme ici ou typiquement ici. Dans son pays, il existe d’ailleurs une Association suisse des yodleurs qui se produit tous les ans à l’occasion de festivals locaux et tous les trois ans lors de la Fête fédérale des yodleurs qui rassemble les chanteurs qualifiés lors des fêtes régionales. Lors de ces événements, ces derniers s’accompagnent souvent de l’accordéon et du célèbre et puissant cor des Alpes.
Auteur : Estelle Pautret
Pour aller plus loin
- Jean-Yves Patte, « Tyrolienne & Tyroliennistes ». Du temps des cerises aux feuilles mortes, un site consacré à la chanson française. Disponible sur : http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/textes_divers/chansons_tyroliennes/chansons_tyroliennes.htm
- « Le yodel à travers le monde ». Ethnoyoutze. Disponible sur : https://ethnoyoutze.wordpress.com/category/le-yodel-a-travers-le-monde/
- « Yodel – tout est dans la voix ». My Switzerland. Disponible sur : https://www.myswitzerland.com/fr-ch/planification/vie-pratique/coutumes-et-traditions/yodel-tout-est-dans-la-voix/