La Bandoura, l’instrument des kobzari, troubadours de l’est

La bandoura, instrument à cordes de la famille du luth, fait partie des traditions ancestrales en Ukraine. On retrouve l’instrument dans bon nombre de chants de Noël ou en accompagnement des danses traditionnelles et folkloriques ukrainiennes. Issue d’un ancien instrument de musique, la kobza qui date du XIVe siècle, son histoire ne se comprend qu’en la rattachant à celle des kobzari, des poètes-chanteurs itinérants, comme les troubadours en France, propres à l’Europe de l’Est qui ont bénéficié de nombreuses influences culturelles convergentes.

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Un petit orchestre à lui seul

La bandoura présente une vaste caisse de résonnance en bois, souvent en érable, mais qui peut aussi être faite en cerisier ou en hêtre. Sa forme arrondie a évolué au cours des premiers siècles de son existence avant de se standardiser seulement récemment.

Sa spécificité repose sur son très grand nombre de cordes ; entre 55 et 65 aujourd’hui qui permettent de créer une gamme chromatique complète que le musicien peut réaliser sans modifier la position de sa main. On parle souvent de « petit orchestre » pour insister sur la variété de tons et demi-tons jouables sur cet instrument.

Le manche de la bandoura n’est plus utilisé et ne sert plus aux accords ; chaque corde jouant une note unique. À l’autre bout de l’instrument, on trouve deux chevalets — généralement un chevalet droit et court et un autre long et courbe — auxquels sont attachées les cordes.

Le musicien tient l’instrument posé sur sa cuisse, plus ou moins perpendiculairement à son buste ; il pince les longues cordes, appelées les basses, avec les doigts de la main gauche et les cordes dites mélodiques, proches des chevalets, avec la main droite. Il se retrouve ainsi dans une pratique à mi-chemin entre la cithare et le luth, là où le luth ne comporte pas de cordes mélodiques, et la cithare pas de manche.

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Son histoire : de la kobza à la bandura

Les avis divergent quant aux origines du terme « bandoura ». Si certains le rattachent à la pandore de l’Antiquité, d’autres, tels que Hnat Khotkevytch, bandouriste de renom et ethnographe, prône une origine plus orientale en rattachant le terme au sanskrit, langue d’origine de la civilisation indienne : elle viendrait de vandin, prononcé bandin, qui signifierait « chanteur, celui qui glorifie ».

Au XIVe siècle, on trouve la kobza (pour voir et écouter une kobza à 1:30), un instrument comportant dès lors de nombreuses cordes. Progressivement, le corps de l’instrument a pris plus d’ampleur et des cordes ont été ajoutées à la kobza pour obtenir la bandoura. Plus exactement, ce sont des pré-cordes — plus courtes — sur le côté droit du manche (vu de face) qui ont amené à son nombre actuel.

Kobza, 2011, CC by SA - Adil113
kobza

C’est entre le XVIe et le XVIIIe siècles essentiellement que la bandoura connut une grande popularité. À ses débuts, l’instrument accompagnait les danses traditionnelles, et plus spécifiquement les kobzari (kobzar au singulier), troubadours d’Europe de l’Est qui chantaient des récits épiques tout en jouant de la bandoura.

À l’origine, le terme kobzar désigne littéralement le joueur de kobza. Plus largement et jusqu’à nos jours, le kobzar est celui qui chante en s’accompagnant d’un instrument et d’une musique dans la tradition des kobzari ; il peut donc s’agir de la bandoura ou même de la lyre.

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Les kobzari, au cœur des influences

L’Europe de l’Est est une terre de passages qui, dès la fin de l’Antiquité, est envahie ou traversée par divers peuples nomades venus de l’Est et du Sud, plus particulièrement des peuples turco-mongols qui vont marquer culturellement les territoires où ils s’installent avant que les Ottomans prennent le contrôle d’une bonne partie des territoires d’Europe centrale et de l’Est à partir du XIVe siècle. La région est donc une terre d’influences.

Dans ces conditions, il se pourrait bien que les kobzari, joueurs de bandoura, soient nés du croisement de plusieurs inspirations. Si les troubadours sont bien connus en Europe occidentale dès le Moyen Âge et commencent à étendre leur influence dans toute l’Europe, il faut citer aussi, parmi les poètes chanteurs itinérants, les joueurs de kobyz, qui accompagnaient les Coumans (aussi appelés Kiptchaks), un peuple semi-nomade turcophone qui s’est étendu jusqu’en Europe au XIIIe siècle.

Des joueurs de kobza sont documentés dès le XIVe siècle. Ils étaient alors bien souvent aveugles, une infirmité due aux assauts répétés de groupes tatars dans la région — un autre peuple nomade turco-mongol qui a envahi la Russie et l’Europe de l’Est à partir du XIIIe siècle. Ceux-ci crevaient les yeux de leurs prisonniers avant de les laisser repartir à défaut de les tuer — un état qui ne permettait guère de velléité au combat pour ces hommes qui ne trouvaient de reconversion que dans la musique populaire.

Kobzar, Taras Shevchenko, 1840, CC by SA - felixum8888
Kobzar, livret de chants de Taras Shevchenko, 1840.

Les kobzari se sont essentiellement multipliés à partir du XVIe siècle ; pour gagner leur vie, ils chantaient des récits épiques et lyriques basés sur des faits historiques, appelés dumy. Leur importance suivit celle des Cosaques qui, au siècle suivant, prirent leur autonomie sur l’actuel territoire ukrainien (1649-1764).

Cosaque Mamay jouant de la bandoura, 19e s. - CC by SA
Célèbre cosaque joueur de kobza, Mamay

Sous protection cosaque, les kobzari étaient même souvent mandatés directement pour conter les hauts faits d’armes de leurs guerriers et appeler le peuple à la lutte ou à la révolte par leur musique. Ils avaient alors un statut particulier et étaient reconnus grâce à l’organisation de corporations régionales rattachées aux paroisses locales. Ils étendirent progressivement leur répertoire, intégrant des chants religieux tout comme des saynètes populaires.

La tradition est restée présente au XIXe siècle dans le sud-ouest de l’Empire russe, soit dans la région de l’actuelle Ukraine et Moldavie, et jusqu’en Roumanie et dans l’est de l’empire d’Autriche-Hongrie. Mais les kobzari avaient alors perdu de leur importance, chanter la gloire de peuples dissidents ou en tous cas non en l’honneur de l’empire tsariste n’était pas recommandé et nombre de kobzari connurent même des persécutions. Ils furent alors plutôt réduits à se produire sur les marchés, voire à chanter pour mendier.

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Joueur de bandoura, 2005, Kiev.

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De nos jours

La bandoura a commencé à être enseignée dans des écoles à partir du XXe siècle, après la fin du régime tsariste. Ce système d’enseignement a permis l’émergence d’une nouvelle approche de la bandoura par la création d’ensembles bandouristes populaires. Cependant, le régime soviétique n’a pas plus soutenu ces musiciens qui s’enorgueillissaient d’une tradition nationaliste non communiste et a déporté un certain nombre d’entre eux dans les années 1930.

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Pour autant, depuis les années 1950, les jeunes musiciens ukrainiens favorisent de plus en plus la bandoura qui, au-delà de son style traditionnel, permet, grâce à sa large gamme, de s’intégrer  à divers styles musicaux tels que la musique jazz ukrainienne dont elle fait partie prenante actuellement.

Aujourd’hui, les joueurs de bandoura célèbres viennent de l’École supérieure de l’art de la kobza dans la ville de Stritiv, unique en Ukraine. Un de ses élèves devenus particulièrement populaires aujourd’hui est Victor Pachnyk. Il existe aussi une Union de kobzari en Ukraine qui protège leur statut et valorise leur musique.

Joueuse de bandoura, 2013, CC by SA - Bev Sykes

Enfin, si les femmes sont peu documentées dans l’histoire de la bandoura, elles sont aujourd’hui nombreuses à s’intéresser à cet instrument qui incarne une des traditions de la nation ukrainienne.

Auteur : Estelle Pautret


Pour écouter de la Bandoura :

Pour aller plus loin :

Crédits photo : CC by SA

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